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21 janvier 2007

Quand la France maltraite ses enfants

jacques brel - la quête
Vidéo envoyée par bisonravi1987

Ahmed Meguini par Charlie Hebdo

Le 17 janvier dernier, pour la sixième fois en quatre ans, Ahmed Meguini, militant-journaliste à TOC, Technikart et à Canal +, comparaissait devant un tribunal. Son crime ? Etre systématiquement celui que des policiers ciblent dans une manifestation en raison de ses cheveux noirs bouclés et accusent de « violences envers les forces de l’ordre »… pour mieux le boucler.

Il y a beaucoup de monde pour soutenir Ahmed devant la 11ème chambre du TGI de Paris, la chambre d’appel. Toute l’équipe de TOC, le magazine engagé des trentenaires pour lequel il travaille et quelques personnalités amies, comme Roland Castro ou Tristan Mendès-France. Le policier en faction prévient « tous ceux qui sont venus pour monsieur Meguini ne pourront pas rentrer, la salle n’est pas prévue pour accueillir autant de monde ». D’autant qu’il y a d’autres affaires.

Abus de pouvoir symptômatique
Un prisonnier, menotté à deux policiers, est escorté à l’intérieur du tribunal. On ne peut pas lui donner d’âge, il regarde dans le vide. Totalement déshumanisé, il a abandonné son corps, sauf ses yeux, qui renvoient des éclairs noirs. Il est tenu à l’écart des autres prévenus, comme un chien dangereux.
Depuis quand les grands criminels sont-ils jugés devant un tribunal civil ? Depuis que des arrestations musclées débouchent sur des procédures en chaîne abusives, qui transforment de simples rebelles en bêtes enragées. Car le prévenu n’est pas là pour cambriolage ou meurtre en série. Comme Ahmed, il était reconnu de « violences envers les forces de l’ordre » à l’issue d’une interpellation très musclée, où il a été blessé. Il purge sa peine de trois mois ferme. Mais le policier qui l’a arrêté le fait revenir au tribunal pour réclamer en prime 1500 euros de dommages et intérêt. En effet, il s’est cassé le doigt lors de l’arrestation… Le prévenu, lui, ne se souvient de rien. Il était ivre lors de l’arrestation et l’enfer dans lequel il plonge depuis lui a coupé toute envie de parler ou de croire en la justice. Les membres du tribunal tentent de l’aider à s’exprimer, mais sa voix ne sort pas. Assis sur un banc avec Ahmed regarde ce policier quitter la salle d’audience en rêvant à ce qu’il va pouvoir enfin acheter à son gosse ou à sa femme. Et pense à celui qui repart, menottes au poignets, avec peut-être 1500 euros à payer sitôt sorti de l’enfer. Lui-même a du mal à continuer de croire en la justice. Il a perdu ses illusions quelque part entre Sarajevo et le dernier procès où il a été condamné sur la seule foi de versions policières qu’il conteste.

Militant à mater
Fils de Harki, il a servi la République comme sapeur-pompier et la Nation française comme volontaires partis combattre en ex-yougoslavie. Il en est revenu avec l’envie de mener uniquement des combats pacifiques. Il fait partie des fondateurs du mouvement du 21 avril (M21), créé pour mobiliser après la présence de Le Pen au second tout de l’élection présidentielle. En juillet 202, il manifeste dans les rues de Strasbourg à l’appel du réseau No Border pour soutenir la cause des Sans-papiers. Les Crs interviennent à coups de Flash Ball. Ahmed fait partie de l’équipe chargée des secours. Il est arrêté alors qu’il soigne un blessé. Sa gueule d’ange le rend incroyablement télégénique lorsqu’il passe en télé (on a pu le voir notamment dans le Grand journal de Denisot sur Canal +). Mais dans une manifestation, avec son blouson en cuir et son immense chevelure bouclée, il faut croire que son charisme d’ agitateur soixante-huitard arabe le désigne à la vindicte policière. Arrêté de façon totalement injuste, Ahmed s’enfuit. Il est rattrapé par une meute qui lui brise le poignet en lui mettant les menottes à terre. Au premier mouvement pour éviter un coup de matraque, il est bon pour « violences à agent», 1000 euros d’amendes, 3 mois de prison ferme dont la moitié en isolement pour que ses idées sur la prison « n’influent sur les autres détenus ». Libération et L’Humanité le soutiennent. Mais l’expérience n’en est pas moins traumatisante et son casier plombé. Il prend une ligne supplémentaire à l’occasion d’une opération anti-pub. Alors qu’il arrache avec d’autres militants des publicités, des agents de la RATP le plaquent au sol. Et lui collent un « outrage et violence envers agents », malgré les témoins qui maintiennent qu’Ahmed n’a pas été violent.

Casier plombé
La suite relève du cercle infernal. En tant que militant mais aussi en tant que journaliste, Ahmed participe à beaucoup de manifestations. Sans problème. Jusqu’aux manifestation anti-CPE, particulièrement passionnées.
Le 14 mars 2006, il est en reportage pour TOC devant la Sorbonne, qu’un groupe d’étudiants déchaînés cherchent à réoccuper. Autour de lui, les meneurs se saisissent du moindre tesson de bouteille pour du moindre pavé pour attaquer le premier barrage policier. Ahmed, lui, prend des notes sur son carnet et discute avec un photographe de l’agence CAPA. La tension monte. Une seconde ligne de CRS, restée plus loin dans la rue Champollion, vient au secours des premiers et charge en direction des manifestants. Dans la cohue, les manifestants reculent et bousculent tout autour d’eux. Cinq personnes tombent à terre à cause des petits plots de la Place de la Sorbonne et sont piétinées. Ahmed en fait partie. Heureusement, des policiers viennent l’aider à se relever et le mettent à l’écart avec d’autres. A ce moment, Ahmed n’imagine pas une seconde qu’il va être arrêté. « Un policier m’a dit qu’ils nous mettaient là pour nous protéger mais qu’il allait très vite nous relâcher ». Sauf que le policier croise un supérieur, à qui il demande ce qu’il doit faire de tous les interpellés. La réponse st sans appel : «  Violence en réunion pour tout le monde ! »

Violence en réunion pour tout le monde
A partir de là, le rapport de trois policiers donnent une version des faits totalement différente de celle d’Ahmed Meguini, qui se retrouve en cellule avec un jeune dénommé Zucca. Ils ont au moins dix ans d’écart et ne se connaissent pas. Mais à en croire les policiers de la rue Champollion, stationnés loin des manifestants et qui n’ont pu les entre-apercevoir que sous une pluie de projectiles, ils feraient partie des meneurs et auraient jeté des objets sur eux… Ils sont décrits comme ayant une « chevelure noire » pour l’un et un « blouson kaki avec une barbe naissante » pour l’autre. Deux signes distinctifs qui les ont visiblement sortis du lot. Comment repère-t-on une barbe naissante de si loin sous une pluie de projectile ? Les versions des policiers sont flottantes. L’un des policiers,  portant un nom d’orgine maghrébine, se plaint d’une jambière détériorée mais dit des prévenus qu’ils ont opposé une « vive résistance sans porter de coups ». Un second se plaint d’une blessure à la cuisse interne à cause d’un pavé mais avoue : « je ne peux pas dire par lequel des deux le pavé m’a été jeté dessus ». Comment dans ce cas peut-il être sûr qu’il s’agit bien de l’un des deux ?

Justice à deux vitesses ?
Dans le doute, pour les mêmes faits, le jeune Zucca a été très vite libéré. Pas Ahmed Meguini, que les premières injustices judiciaires ayant sali son casier, ont plombé. Il fait donc appel. Et comparaît dans l’espoir que la vérité éclate. Sa voix est calme. Il raconte l’événement sur un ton journalistique rigoureux. Il n’a plus les cheveux bouclés, plus que jamais une gueule d’ange, et une redingote troisième république qui lui sied à merveilles, comme jadis l’uniforme de pompier.
Le tribunal est perturbé. Il ne parvient pas à se faire une idée. Les versions sont trop différentes. En l’absence des policiers, qui ne sont pas venus donner leur version, le tribunal préfère reporter. L’audience est donc fixée au 6 avril pour les confronter et tenter d’y voir clair. Ahmed, qui pensait en finir, est épuisé mais soulagé qu’un tribunal ait enfin pris le temps de vouloir connaître tous les éléments avant de juger. Il attend cette confrontation avec l’impatience d’un militant-journaliste qui ne supporte ni le mensonge ni l’injustice.

Caroline Fourest

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